Sexualité et excision… Deux mots ancrés dans l’imagerie collective, deux mots aux significations tellement éloignées l’une de l’autre qu’elles paraissent forcément ne pas pouvoir se rencontrer.
Pourtant, ces deux entités sont intimement liées l’une à l’autre pour toutes celles qui doivent les conjuguer à travers toutes les étapes de leur vie. Si l’Europe combat les mutilations sexuelles féminines, une autre bataille tout aussi importante se joue : la reconnaissance de la sexualité de ces femmes à qui on a déjà trop enlevé.
L’OMS (Office Mondial de la Santé) définit les mutilations génitales féminines comme des « interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme et/ou toute autre lésion des organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques. »
Il en existe de quatre types :
- Type I : « Clitoridectomie » : Ablation partielle ou totale du prépuce et/ou du clitoris.
- Type II : « Excision » : Ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres.
- Type III : « Infibulation » : Rétrécissement de l’orifice vaginal avec recouvrement ou par l’ablation et l’accolement des petites lèvres et/ou des grandes lèvres, avec ou sans excision du clitoris.
- Type IV : Toutes les autres interventions nocives pratiquées sur les organes génitaux féminins à des fins non thérapeutiques, comme la ponction, le percement, l’incision ou la cautérisation.
Ces mutilations, effectuées pour des raisons religieuses, normatives ou encore hygiéniques ont un impact considérable sur la vie des femmes qui les subissent, tant sur le plan psychologique, physique que sexuel. Il existe bien entendu des complications à court terme avec notamment les risques d’infection que le geste, souvent réalisé dans des conditions déplorables, comporte, mais aussi des complications à long terme et sur le plan sexologique. Ainsi, certaines femmes présentent, par exemple, des douleurs lors des rapports sexuels, une altération de la sensibilité sexuelle, des troubles du désir, une anorgasmie ou encore du vaginisme. L’absence de plaisir lié à la sexualité peut également engendrer des difficultés conjugales.
Les mutilations génitales féminines qui, suite à de nouvelles vagues d’immigration, ont vu leur prévalence doubler en Belgique sur les 5 dernières années, sont bien entendu condamnées et punies (article 409 du code pénal) et constituent à l’heure actuelle un point d’attention particulier au travers de différentes mesures associatives et gouvernementales.
L’évolution en matière de reconstruction du clitoris, technique mise en exergue par Pierre Foldès et remboursée depuis 2004 sur le territoire français, a ouvert ces dernières années la porte aux femmes excisées en leur permettant de faire un choix délibéré allant vers la prise en main de leur corps, de leur plaisir et de leur identité sexuelle. L’accompagnement pluridisciplinaire (psychologique, sexologique et chirurgicale) qui était jusqu’à peu cantonné à la France vient de voir le jour en Belgique tout récemment (mars 2014). L’INAMI a en effet reconnu deux premiers centres de référence : l’UZ de Gand et le CHU Saint‑Pierre de Bruxelles. Jusqu’à maintenant, la reconstruction du clitoris était entièrement à charge de la patiente et par conséquent n’était pratiquée que très rarement en Belgique. Un budget annuel de 500.000 euros est actuellement prévu pour les deux centres.
La reconstruction du clitoris consiste à enlever le tissu cicatriciel et à le reconstruire en extériorisant la partie profonde non touchée par la mutilation, de manière à obtenir un organe normalement innervé et le plus fonctionnel possible. Cette technique a permis à de nombreuses femmes de retrouver une certaine sensibilité, jusque là éteinte, mais aussi de se sentir plus « femme », plus « entière ». Malgré tout, cette réparation, à la fois physique et psychologique, reste une intervention chirurgicale délicate qui peut parfois mener à raviver l’évènement douloureux. N’existerait-il pas d’autres voies menant à un plus grand épanouissement ? Ne peut-on pas aider ces femmes à le surmonter et à réapprendre leur corps et son fonctionnement ?
La réponse est oui ! Pour de nombreuses femmes excisées, la problématique principale reste en priorité le traumatisme lié à l’évènement. Une fois ce dernier traité et dépassé, elles peuvent enfin essayer de découvrir une sexualité épanouie et se prêter au travail sexologique. Beaucoup, arrivées à l’âge des premiers rapports sexuels, n’ont pas pris conscience du potentiel de cette partie de leur corps que la vie a soit mise en veilleuse, soit rendue douloureuse. Parfois, les douleurs sont réactivées par un compagnon maladroit ou brutal, faisant alors entrer la femme dans le cercle vicieux de l’anticipation et de l’échec. D’autres encore apprennent qu’elles ont été excisées seulement une fois sur la table du gynécologue, quand ce dernier a le courage d’aborder le sujet.
L’objectif de la consultation sexologique est d’évaluer et, éventuellement et a fortiori, de faire évoluer la satisfaction sexuelle. Beaucoup de femmes sont tellement convaincues que l’excision les prive de tout accès au plaisir sexuel qu’elles n’ont rien exploré des capacités érotiques de leur corps, ou bien, connaissent le plaisir et l’orgasme mais n’en savent rien, convaincues qu’elles sont des êtres « handicapées ». Car oui, de nombreuses femmes excisées ont le potentiel, suivant la manière dont l’excision été réalisée, d’obtenir une satisfaction sexuelle qui n’a rien à envier aux femmes dites « entières ». En effet, la stimulation buccale ou manuelle des tissus nerveux clitoridiens intacts situés sous le moignon cicatriciel reste généralement possible, de même que le plaisir vaginal ou encore des zones extra génitales (seins, anus, lèvres, etc).
Concrètement, une première consultation chez un gynécologue est recommandée pour faire le point sur les dégâts engendrés par l’excision et les possibilités d’évolution en rapport avec la demande sexologique et avant tout projet d’acte chirurgical. Après, une fois en consultation chez le sexologue, le maître mot sera : se reconstruire avant de reconstruire car opérer une femme qui n’est pas reconstruite mène bien souvent à un échec, la femme se trouvant désarmée face à cette nouvelle anatomie qu’elle ne sait pas appréhender. La sexualité, comme tout autre domaine de la vie, est avant tout une question d’apprentissages. Ainsi, La majorité des femmes excisées laissent de côté l’idée de l’opération une fois qu’elles ont pris conscience du potentiel érotique de leur corps et - surtout - lorsqu’elles s’en donnent enfin l’autorisation. Travail sur l’image de soi, de son corps et de ses atouts sexuels ; connaissance de son sexe, exploration et développement des fantasmes mais aussi travail sur le couple, exercices de relaxation et prise de conscience de l’instant présent sont autant de pistes à mettre en œuvre pour, enfin, exciser la souffrance.
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