Dans mon métier, j’ai l’habitude de traiter des patients qui, s’ils pratiquent le BDSM, en souffrent, ne l’assument pas, sont déstabilisés par leurs envies, se jugent inadéquats : Bref, ils veulent changer. Souvent prisonniers des codes sociaux, leur sexualité « atypique » devient la pierre d’achoppement contre laquelle ils butent jour après jour, rigidifiant leurs fantasmes, les privant de la liberté qu’offre l’acceptation. De la peine de se juger anormaux à la peur d’aller toujours plus loin, l’accueil et le prise en charge de ces patients passent notamment par la bienveillance face à ce qu’ils sont et par la prise de conscience qu’une sexualité « normale » n’existe pas.
Ma pratique en cabinet, vous l’aurez compris, m’a rarement permise de côtoyer des personnes qui vivent sereinement la pratique du BDSM et qui constituent pourtant, et heureusement, une majorité.
Début octobre se tenait à Liège le salon Eros. Sur les ondes de Radio Prima, qui m’y invitait pour une interview, j’ai eu l’occasion de rencontrer Eric, 58 ans, qui le pratique maintenant depuis 17 ans. L’occasion pour la sexologue que je suis de lever le voile sur les codes de ce monde à part entière mais surtout d’en apprendre un peu plus sur ceux et celles qui le font vivre.
Cette rencontre a tout naturellement mené à une entrevue passionnante dont je vous retranscris le contenu ici. Je vous propose de le découvrir à la manière dont cet échange s’est voulu : sans préjugé, dans le respect de l’autre et de la singularité de sa sexualité.
Interview
Est-ce que tu peux m’expliquer ce qu’est le BDSM ?
Eric : « BDSM est un acronyme pour Bondage, Domination, Soumission et Masochisme (ensemble de pratiques sexuelles et contractuelles utilisant la douleur, la contrainte, l’humiliation érotique et la mise en scène de différents fantasmes sexuels*).
Le Bondage reprend tout ce qui concerne le fait d’être attaché et notamment la pratique du shibari (bondage japonais*).
La Domination et la Soumission concernent le rapport entre un être défini comme «subalterne» et un être défini comme « dirigeant ». Il s’agit d'une relation hiérarchique entre un soumis et un dominant. Personnellement, je suis un soumis. Pour moi, ça veut dire pouvoir lâcher prise par rapport à la vie réelle. Si on y réfléchit, nous sommes tous un peu soumis par la société, qui est régie par toutes sortes de règles. Dans cette pratique, c’est mon choix. »
Qu’en est-il du masochisme ?
Eric : « Le masochisme découle toujours de ces différentes pratiques et en constitue un peu la pierre angulaire, que la douleur infligée soit physique ou psychologique.
Je remarque que beaucoup de gens s’intéressent au BDSM mais pour la plupart, cela reste à l’état de fantasme via les films pornographiques ou lors de petites pensées érotiques.
Dans la réalité, le BDSM dépasse le cadre du strictement sexuel. Pour certains, ce sera peut être uniquement sexuel mais pour d’autres, l’emprise et le rôle de soumis seront tenus H24. »
Y a-t-il des règles dans le BDSM ?
Eric : « Il y a toujours un accord général entre le dominant et le soumis et la mise en place d’un mot clé qui permet d’arrêter instantanément l’échange si on dépasse une limite qu’on ne peut tolérer. C’est primordial. On ne fait pas n’importe quoi avec n’importe qui et surtout, pas n’importe comment.
Parfois, les choses se font naturellement au sein d’un couple qui s’installe, dans lequel on teste les pratiques au fur et à mesure. Ça rend les choses plus faciles, ça permet de s’ajuster. Mais parfois, il s’agit d’une rencontre spontanée et c’est alors d’autant plus important de définir les choses à l’avance. »
Quelles sont les pratiques rencontrées dans le BDSM ?
Eric : « C’est très vaste ! Prenons l’exemple de la soumission. Pour certains, cela passera par le fait de nettoyer les toilettes avec un brosse à dents ou d’être tenu en laisse par le dominant. Il s’agit alors d’une soumission forte mais purement psychologique.
D’autres iront au contraire plus loin sur le plan sexuel et dans le masochisme. Ils expérimenteront par exemple les écrasements, les brûlures ou les scarifications.
La contrainte joue aussi un rôle important. C’est le cas des cages de chasteté (pour les hommes) ou ceinture de chasteté (pour les femmes) dont le but est de rappeler constamment la présence de la dominante ou du dominant. En effet, une telle contrainte oblige à faire les choses du quotidien autrement, comme par exemple le simple fait d’aller aux toilettes !
Au final, c’est plus psychologique que sexuel car ce qu’il faut savoir avec une cage de chasteté, c’est que si excitation il y a, ça fait mal ! En effet, le pénis est comprimé dans une enceinte métallique de quelques centimètres (les plus petites, comme celle que porte Eric, font à peine 2,5 centimètres*) qui empêche à toute érection de se déployer. Evidemment, cela oblige aussi à une fidélité parfaite envers la dominante puisque quand elle détient la clé, toute masturbation est impossible.
Au final, on rejoint toujours la question - centrale pour moi - qui est celle du contrôle de son corps. Pour cette raison, je porte une cage même quand je n’ai pas de dominante.
Dans ton quotidien, quelle place ça prend ?
Eric : « Pour le moment, je n’ai pas de dominante. Il s’agit donc essentiellement du port de la cage.
Avec dominante, le rapport est tout autre. Il faut pouvoir être en contact permanent et à la disposition de cette dernière. Pour moi, c’est une pratique qui s’ancre avant tout dans le réel. Je ne suis pas du tout attiré par le virtuel. La dominante peut exiger ce qu’elle veut de moi à tout moment : ça peut être en exigeant que je mette un string de femme, que j’achète un nouveau martinet, que j'effectue certaines tâches ou tout autre demande et elle vérifiera que ses demandes ont bien été exécutées, et en fonction, décidera ou non d'infliger une correction. Le plaisir, c’est de rencontrer le désir de la dominante mais aussi de mettre la barre de plus en plus haute. A ce jeu là, il n’y a jamais de fin. »
As-tu déjà vécu une relation amoureuse avec une dominante ?
Eric : « Jamais, mais j’aimerais, car à ce moment-là, la relation est plus complète. Il s’agit d’un lien de domination H24. »
Comment rencontre-t-on un partenaire qui aspire aux mêmes envies ?
Eric : « Les rencontres se font souvent par annonces, soit dans des magazines ou sur internet. Il y a aussi la possibilité de faire des rencontres dans la « vraie vie » et notamment via les clubs BDSM. Seulement, il faut généralement se faire introduire et il y a par la suite tout un cheminement : il faut se faire voir, se faire connaitre, montrer son sérieux pour trouver quelqu’un. J’ai déjà essayé les maisons closes mais pour moi, cette expérience a vraiment été décevante, bien qu’il puisse s’agir d’une chouette expérience pour un novice. »
Que peux-tu me parler des préjugés qui circulent sur le monde du BDSM ?
Eric : « Tout d’abord qu’il s’agit d’un milieu très respectueux : ce n’est pas de la décadence humaine, chacun est respectueux de l’autre et de son « territoire ».
Comme souvent, une image tronquée de ce qu’est le BDSM est véhiculée par l’industrie du porno. C’est la même idée que pour la sexualité « classique » : ce qu’on voit dans les films, ce n’est pas la vraie vie ! Et ce qu’on voit dans les films pornographiques BDSM, même si les codes généraux sont repris, ne représentent en rien la réalité d’un lien entre soumis et dominant. Oui, on attache les gens et ça fait partie des pratiques – oui, on peut donner un coup de martinet, mais tout le côté psychologique n’est pas représenté. Parfois, dans ces films, c’est de la cruauté barbare, non justifiée. En réalité, une maitresse peut être cruelle mais c’est toujours « justifié », encadré dans un contexte psychologique et toujours tenu par les règles décrites dans le contrat de base ! La notion de consentement est centrale !
Dans les faits, donc, c’est beaucoup plus subtil que ce que l’on pense. Ce n’est pas de la performance comme dans les films. »
Que recherches-tu personnellement dans ces pratiques ?
Eric : « Je recherche une forme de lâcher prise que je n’ai pas dans mon quotidien. Avec les années, j’étais entré dans une routine « métro-boulot-dodo » et même ma vie sexuelle était devenue embêtante.
Ça me permet de me déconnecter de la vie en générale mais aussi des problèmes de santé et des douleurs non désirées. Je souffre en effet de fibromyalgie. Lors d’une séance de BDSM, je reprends le contrôle sur mon corps, sur mes douleurs. Cela détourne mon esprit de tout le reste, tout mon esprit est concentré sur l’instant présent et plus rien d’autre n’a d’importance.
Quand on est attaché et qu’on a les yeux bandés, tous les sens sont en éveil, on ne sait pas ce qu’il va nous arriver, la surprise est totale.
Ça, c’est pour le côté psychologique évidemment, le physique a son importance. »
Qu’en est-il du plaisir sexuel ?
Eric : « Dans ce type de relation, c’est bien sûr uniquement le plaisir physique du dominant qui compte. La maitresse peut juste venir prendre du plaisir puis repartir sans toucher le dominé. Elle peut par exemple exiger un orgasme mais maintenir la cage de chasteté pour interdire tout plaisir et rendre l’excitation douloureuse. Par la suite, la frustration peut être intense mais il faut apprendre à la garder, à la maîtriser car on ne peut pas gérer cette dernière en se masturbant.
Parfois, la dominante peut masturber son soumis mais arrêter juste avant l’éjaculation pour asseoir son pouvoir sur le plaisir de l’autre.
Enfin, la dominante peut, pour des raisons physiologiques, décider qu’il est temps que le sperme soit évacué. Elle procède alors au « milking ». Il s’agit d’un massage avec pression intense de la région prostatique et des vésicules séminales qui a effet de forcer le sperme à sortir, presque au goutte-à-goutte, sans érection et sans aucun plaisir !
C’est vraiment une appartenance totale à l’autre, dans lequel tout le corps intervient, pas que le sexe, et dans lequel la notion de plaisir est très ambivalente. »
Quelle est ton histoire en matière de sexualité (éducation, …) ?
Eric : « Je n’ai pas eu d’éducation à la sexualité particulière de la part de mes parents. C’était un peu du « chacun pour soi ». Néanmoins, le début de ma vie sexuelle s’est très bien passé et ce n’est que lors de mon second divorce que j’ai commencé à m’intéresser au BDSM. J’ai pris plaisir à découvrir un nouveau monde, de nouvelles pratiques et enfin, j’avais trouvé un moyen de lâcher prise par rapport à mon quotidien ! »
Quelles ont été tes premières pratiques ?
Eric : « J’ai commencé par me faire attacher, par les pinces aux tétons, aux testicules, au pénis, ainsi qu’au fait de faire jouir l’autre sans contrepartie. Après sont arrivés les jeux avec les yeux bandés, les effets de surprise, … »
Comment le BDSM est-il venu s’inscrire dans ton histoire ?
Eric : « Pour moi, ça a toujours été la recherche du « plus ». J’ai été marié 2 fois et à chaque fois j’ai connu une vie sexuelle épanouie mais également une certaine routine. A chaque rapport sexuel, j’aurais pu dire exactement comment ça allait se passer avec précision et à force, ça ne me donnait plus envie. Ce n’est pas toujours évident de mettre du piment dans la sexualité quand la partenaire n’y est pas ouverte. »
As-tu fait un « coming-out » ?
Eric : « Non, car j’en ai toujours parlé facilement et même avec mes enfants !
J’ai veillé à les élever sans mettre une bride autour des questions de sexualité et en tant qu’adultes, ils parlent ouvertement de sexualité.
Pour moi, ce n’est pas une tare d’être un soumis, j’en suis fier. »
Pourrais-tu vivre une sexualité sans BDSM ?
Eric : « Oui même si je sais qu’à un moment donné, j’aurai probablement envie de plus. Je ne pourrais pas y renoncer totalement mais si je rencontre quelqu’un et qu’une histoire d’amour se crée, j’ose espérer que mes besoins seront compris et que dans le pire des cas, je pourrai continuer à expérimenter de mon côté. En effet, il n’y a pas de rapport sexuel à proprement parlé dans mon rôle de soumis. J’aimerais que ma partenaire comprenne que ça fait partie de moi. »
Quelles sont tes limites personnelles ?
Eric : « Tout ce qui touche au scatologique, je n’en veux pas, même si je respecte ceux qui en sont adeptes. Néanmoins, je repousse toujours un peu plus loin la limite de la douleur et j’ai commencé récemment les jeux d’aiguilles. Je tiens à rappeler l’importance de l’hygiène et de la compétence de la personne qui pratique ! Il ne faut pas piquer n’importe où, n’importe comment ! »
Quelles sont les précautions à prendre ? Les choses à se rappeler pour que ça se passe bien?
Eric : « C’est primordial de s’entourer de personne qui ont de la pratique. Il n’y a pas de miracle : pour devenir un bon maitre, il faut avoir été un bon soumis ! On ne s’improvise pas maitre ou maitresse. C’est important pour le côté physique (savoir ce qu’est une douleur et ses conséquences) mais aussi pour le côté psychologique.
Il faut commencer au bas de l’échelle, faire attention aux charlatans et faire attention à l’image donnée dans les films porno : ça peut être dangereux et on peut finir par faire des choses irréversibles !
Je recommande aussi vivement de se mettre des limites et de ne pas les mettre trop hautes dès le début. Le plaisir est aussi dans la découverte progressive… »
Un grand merci Eric pour ton témoignage!
Pour tout renseignement, n'hésitez pas à me contacter!
Margaux
#bondage #soumission#domination #SM #BDSM
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